Au CNRS, la recherche étouffée par la bureaucratie ! (Rires)

Publié le : 24 septembre 2012 - Mot Clés : , , , , ,

        

Sans sourciller, le journal Les Echos[1] commente le « fruit de la réflexion (sur le CNRS) d’un groupe de travail d’une trentaine d’académiciens réunis sous la présidence du chimiste Bernard Meunier », et que résumerait un rapport sobrement intitulé « Remarques et propositions sur les structures de la recherche publique en France ».

Les académiciens ont enquêté au CNRS. Selon la même source, leur rapport serait « explosif ». Principal motif de grogne : au CNRS, « les chercheurs passent leur journée à remplir des documents administratifs, au détriment de leur vrai travail ». Leur « grogne » est-elle bien justifiée ?

Aux chercheurs-chercheurs du CNRS, on rappellera que, sur le trottoir d’en face, dans les universités, où sont également conduites des recherches, les enseignants-chercheurs remplissent aussi des « documents administratifs » et, de surcroît, enseignent tout au long de l’année, corrigent des tas de copies, encadrent mémoires et thèses, assurent des heures de permanence pour préparer la relève. Et, comme déjà dit, publient. En outre, à l’université toujours, les enseignants-chercheurs bâtissent à longueur d’années des projets pour décrocher des budgets auprès des agences qui les distribuent sur une base compétitive. Imaginons les cries d’orfraie si ces missions, qui sont le propre des chercheurs du secteur public dans le monde entier, étaient confiées demain aux chercheurs-chercheurs du CNRS. Assurément, « leur vrai travail » en serait durement affecté.

C’est toutefois dans l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) que nos 12 académiciens plantent le fer de leur lance. Car au CNRS, l’AERES fait « l’unanimité contre elle par son excès de bureaucratie inutile ». Rappelons que l’AERES est un organisme d’évaluation de ce que font universitaires et chercheurs, ces derniers, en France, présentant la curieuse particularité de ne pas enseigner sauf à en faire la demande.

Remarque : l’AERES souffre probablement de dysfonctionnements. Faut-il la supprimer pour autant ? Et, dans l’affirmative, la remplacer par quoi, notamment pour évaluer les travaux du CNRS ? Par les auto-évaluations des chercheurs du dit CNRS ? Ces auto-évaluations sont l’objet de vastes rigolades pour tous les chercheurs, notamment étrangers, qui ont pu les consulter. Plus tranchants, d’autres tiennent ces auto-évaluations pour un scandale français. Que les académiciens missionnés puissent reprendre à leur compte des doléances corporatistes d’un tel archaïsme tenues par un organisme qui n’a plus de raison d’être, et qui aurait dû être converti depuis longtemps en agence de moyens doté d’un effectif global de 500 personnes au maximum, illustre où se situe notre déchéance intellectuelle. D’autres diagnostiqueraient encore un consternant autisme franchouillard.

A ce sujet et à fins édifiantes, il faut citer le préambule du rapport sur les Finances du système éducatif que vient de publier l’Office fédéral de la statistique (Suisse) : « Etant donné que le système de la formation est financé pour une grande part avec de l’argent public qui pourrait être utilisé à d’autres fins, il est tenu, en quelque sorte, de rendre des comptes à la société dans son ensemble. Pour cela, il faut disposer d’instruments d’évaluation permettant à un large public de vérifier les conditions de fonctionnement, les investissements réalisés et leurs avantages »[2].  Ne serait-ce que pour un jour approcher de ce souci éthique, à l’œuvre dans nombre de pays où la recherche rayonne, l’AERES a sa pleine raison d’être. Je précise que j’ai tout naturellement rendu les comptes que cet organisme me demandait et, pour neutraliser toute perfidie, que je n’en fais pas partie. Simplement, j’ai moins lu Lénine que Tocqueville.



[1] Les Echos, 28-29 septembre 2012.

[2] Finances du système éducatif, Edition 2012, Office fédéral de la statistique, Neuchâtel, 2012, page 5.

Vos avis et commentaires

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Posté par Matcham - Posté le 24 septembre 2012 à 9 h 10 min

En effet, la formulation de Geneviève Fioraso est maladroite. Elle prête souvent le flanc à la polémique en raison de ses propos un brut de décoffrage. Tant pis pour elle…

Posté par Contratsocial - Posté le 24 septembre 2012 à 9 h 27 min

Des chercheurs en France qui seraient “mauvais”, “plus mauvais” qu’ailleurs ? Ca m’étonnerait qu’on en trouve. Nous sommes les meilleurs, et nous en sommes persuadés. Il suffit pour s’en convaincre de suivre la préparation des AES: quasiment aucune référence à ce qui se passe à l’étranger. Nos protocoles, nos procédures sont les meilleurs, simplement nous “manquons de moyens”… Plus de moyens, et le tour est joué. Plus de moyens, et plus besoin de se casser la tête à aller chercher des fonds tiers, à Bruxelles ou ailleurs. On restera entre nous, au chaud.

Posté par humanitas vocabatur - Posté le 24 septembre 2012 à 9 h 48 min

Rien à ajouter. C’est cinglant, mais votre cible est gigantesque et ne bouge pas beaucoup. En tout cas, merci.

Posté par P. Martinez - Posté le 24 septembre 2012 à 11 h 13 min

Si vous souhaitez rencontrer les “mauvais” EC, mêlez-vous à la préparation des assises de l’enseignement supérieur. Ils sont quelques milliers à se bousculer pour revenir à l’ordre ancien. Le conservatisme français n’est pas prêt de disparaître. Il est curieux d’observer tous ces révoltés brandir des slogans révolutionnaires et être, dans les faits, les agents d’un conservatisme absolu. Le plus accablant c’est qu’ils sont nos collègues.

Posté par Madness - Posté le 24 septembre 2012 à 12 h 19 min

@Matcham: Fioraso est peut-être “brut de décoffrage” mais elle nous change de l’énarchie envahissante. Voilà aussi pourquoi elle peut commettre des gaffes sur lesquelles Garçon surfe. Préférez-vous la langue de bois d’un conseiller de la Cour des comptes, qui enfume son auditoire, où une scientifique qui n’a pas l’habilité de langage des cerveaux creux sortis de l’IEP mais qui est une chercheuse, une scientifique? Pour ma part, mon choix est fait. Libre à vous de ne pas partager mon avis.

Posté par Iron Maiden - Posté le 24 septembre 2012 à 17 h 50 min

La ministre va suivre tout bonnement la politique de Pécresse. Mais en bonne socialiste à la tête d’un ministère où la gauche bobo (pauvre) est hégémonique, elle avancera masquée, évoquant la fraternité, l’héroisme des universitaires face à la mondialisation et autres niaiseries. Faisons-lui confiance, rien ne nous sera épargné, et à elle non plus. J’attends avec impatience les premiers blocages qui devraient survenir à Rennes 2 ou Paris 3, Paris 8, Paris 1, Lyon 2. Que de guignols dans la rue en perspective.

Posté par Al Capone - Posté le 25 septembre 2012 à 11 h 42 min

@Iron Maiden: les guignols qui seront dans la rue et dont vous redoutez le nombre, ne devraient pas empêcher la Ministre de poursuivre les réformes entreprises par Valérie Pécresse. Sur la Suisse, leurs chercheurs font des cartons dans les fonds européens car la langue de travail est principalement l’anglais, au moins au niveau doctoral. L’usage de l’anglais permet d’emporter plus facilement la conviction des pairs qui décident des attributions de fonds. J’ai conscience que cette objection revient à me tirer une deuxième balle dans le pied.

Posté par P. Chaberti - Posté le 27 septembre 2012 à 11 h 45 min

“Nous ne sommes pas plus mauvais…” Qu’une ministre de l’Enseignement supérieur se permette ce type de formulation est la preuve que, oui, nous sommes plus “mauvais” et pas que des Suisses. Inutile d’invoquer le pseudo-masochisme français qui se lit dans pratiquement toutes les réactions. Il s’agit de réalisme, de lucidité. A la place de la ministre, je l’aurais formulé autrement: “Nous restons les meilleurs du monde, si seulement les autres avaient la bonne idée d’utiliser le thermomètre que nous avons fabriqué à notre seul usage”….
P. Charberti

Posté par Philippe Maur - Posté le 2 octobre 2012 à 21 h 20 min

En quoi le commentaire de l’OFS est-il représentatif de l’idéologie globale de l’enseignement supérieur suisse?

Posté par F. Garçon - Posté le 9 octobre 2012 à 15 h 36 min

@ Philippe Maur: en effet, j’ignore si l’OFS est “représentatif de l’idéologie globale de l’enseignement supérieur suisse” et, à ma connaissance, l’OFS n’a pas reçu mandat explicite pour l’exprimer. Ce que je constate, c’est que le commentaire cité de l’OFS peut se lire sur les milliers de pages de comptes-rendus de séances dans chaque Grand Conseil des 10 cantons universitaires. Il n’est pas une séance où, intervenant sur la politique des Hautes écoles universitaires ou Hautes écoles spécialisées, les élus de tous bords ne se réfèrent au principe assez simple que reprend l’OFS et qui se résume ainsi: l’enseignement supérieur est très bien financé par la collectivité suisse et, en contrepartie, cet enseignement supérieur a des responsabilités à assumer, notamment celle de rendre des comptes précis sur l’usage des ressources qui lui sont attribuées. En outre, je n’imagine pas l’OFS se permettre d’improviser un éditorial allant à l’encontre de ce qu’expriment les élus, qui financent aussi l’OFS.

Posté par Scientificateur - Posté le 20 novembre 2012 à 22 h 01 min

La recherche académique française que je connais bien puisque j’ai suivi des études de biologie à l’Université jusqu’à l’obtention d’un doctorat de recherche, souffre, non pas d’un manque de budget, ou d’investissement financier de l’Etat, mais d’une part, du statut « fonctionnaire » de nos chercheurs et enseignants-chercheurs, et d’autre part, de la rigidité de la gestion des ressources humaines, de l’absence d’un management efficient des projets de recherche, et de la rigidité et complexité de la gestion, pour ne pas dire la “mainmise”, des finances des laboratoires par les organismes de recherche publique.

J’inciterai particulièrement sur les ressources humaines car sans les hommes, il n’y a pas de recherche possible.
A son recrutement à l’Université, au CNRS, à l’INSERM, INRA, INRIA, CEA, CNES …etc. (plus d’une vingtaine d’organismes de recherche, toute des forteresse du conservatisme !!!), on juge et on évalue le futur chercheur sur ce qu’il a produit (souvent à l’étranger et dans des laboratoires d’excellence), et on estime qu’il aura la même créativité et productivité dans le futur. Ceci est une grande aberration, car une fois devenue « fonctionnaire », le chercheur n’ayant plus d’obligation de résultats, et surtout n’ayant plus aucune crainte concernant une évaluation de la “qualité” de sa production, se laisse inéluctablement aller à une certaine médiocrité dans un monde qui ne peut tolérer que l’excellence, et où la concurrence est globalisée. Qu’il produise ou qu’il ne produise pas, il aura son poste et son salaire. Certes, sous la pression des classements internationaux (surtout celui de Shanghai), les choses ont un changé et on s’est décidé à évaluer les chercheurs. Mais au lieu de les évaluer sur la qualité de leur production scientifique, on les valorise en fonction du nombre de publications (la qualité n’étant que très secondaire). Et là, tout comme le monde des flics qui se plaigne, à juste titre, de la politique du chiffre qu’on leur fait subir, nos chercheurs eux aussi sont soumis à cette politique de la quantité au détriment de la qualité ! Sauf que nos chercheurs contrairement aux flics (eux-aussi fonctionnaires) ne se plaignent pas, ne rejettent pas ces évaluations. Cette politique de la quantité poussent les labos à publier des dizaines d’articles les unes plus nuls que les autres, qui n’apportent aucune connaissance nouvelle. En Angleterre, pays d’excellence en recherche au niveau des sciences de la vie, les labos se refusent de soumettre des articles si il n’y a pas une qualité suffisante. Ainsi, l’Angleterre (ou la Grande Bretagne pour être exacte) est le pays champion du monde qui publie le plus d’articles en biologie ayant un “impact factor” supérieur à 10 ! Digne successeur de Darwin !

Aujourd’hui en France, ceux qui cherchent et parfois découvrent, aussi minimes soient ces découvertes par rapport à la production des principaux pays leaders, sont les chercheurs non-fonctionnaires cad les étudiants-chercheurs « doctorants » et les chercheurs-vacataires, nommés « post-doctorants » ou « post-docs » (en CDD). Sans cette population là, les laboratoires publics seraient bien vides.
En sciences dures (physique, chimie et biologie), où la production de nouvelles connaissances est intimement liée et dépendante des nouvelles technologies d’analyse et de mesure, le rôle majeur des chercheurs non-fonctionnaires est encore plus évident.
En effet, l’introduction d’une nouvelle technologie au sein d’un laboratoire est l’occasion d’ouvrir ses champs de réflexion, et donc de poser de nouvelles questions qui peuvent être expérimentées pour éventuellement déboucher sur des découvertes. Or les statutaires (fonctionnaires) sont « technologiquement » dépassés car ils ne font pas l’effort de se former en continue avec l’avancée des nouvelles technologies. A l’opposé, les doctorants et les post-docs, ayant eux une obligation de résultats, sont ouverts et curieux envers les nouvelles technologies, et se forment de façon proactive à la maîtrise de leurs outils de travail.
Par qui sont formés ces chercheurs non-fonctionnaires ? Et bien la réponse est simple, les post-docs et les doctorants plus jeunes se forment entre-eux, en réseau, et en partageant leurs connaissances et savoir-faire en interaction avec les services techniques des entreprises qui équipent les laboratoires avec leurs technologies.
Aujourd’hui, il y a véritablement un ressenti de frustration de cette population des chercheurs non-fonctionnaires. Les chercheurs statutaires dénigrent le travail de leurs inférieurs non-fonctionnaires. Dans le même temps à la moindre bourgeonnement de résultats, ils sont les premiers à vouloir s’emparer du mérite, voir à piller les résultats. En effet, combien de post-docs ou de doctorants, après leur départ du laboratoire, ont vu leur nom lâchement déclassés sur un article après publication de leur production scientifique, ou être évincés d’un brevet ? Le mérite et le retour sur investissement en terme de poste, de salaire, ou simplement de reconnaissance sociétale, en rapport de leurs productions scientifiques leurs aient spoliées par leurs hiérarchies fonctionnaires.
L’autorité hiérarchique des chercheurs statutaires et leurs rôles d’encadrants formateurs est par conséquent devenu obsolète. La légitimité à occuper un poste protégé et stable est remise en cause par la population non-fonctionnaire.
Ce système archaïque est la cause principale de la désaffection des étudiants pour s’engager dans les filières scientifiques et la recherche. Ceux qui travaillent et produisent sont en situation précaires et n’ont pas accès aux avantages sociaux de leurs supérieurs fonctionnaires. Par conséquent, étant leader d’opinion sur leurs cadets, les doctorants et post-doc découragent, à raison, les plus jeunes de s’engager dans ces études longues et non gratifiantes. Je me vois encore à dire à des étudiants en licence ou en master de chercher activement une autre voie que gâcher 3 à 4 années de sa jeunesse dans une thèse de doctorat ! Oui, on en ait là !
Une solution serait d’obliger, par une aide ciblée et temporaire, les étudiants en Master 2 recherche (anciennement DEA) souhaitant poursuivre en doctorat, à intégrer un laboratoire d’un pays étranger leader en recherche (en particulier les pays anglo-saxons, mais aussi la Suisse, le Japon ou encore l’Allemagne). Une telle mesure aurait comme effet d’une part d’éduquer nos jeunes futurs chercheurs à la culture de l’excellence pratiquée dans ces laboratoires, et d’autre part, à leur retour, de rejeter de façon encore plus virulente l’archaïsme du modèle existant. De plus, en tarissant très rapidement les laboratoires français de ces forces vives que sont les doctorants, cela révélerait enfin la médiocrité et inefficiente de nos chercheurs fonctionnaires puisque la production scientifique tomberait à zéro.

Posté par F. Garçon - Posté le 21 novembre 2012 à 7 h 57 min

@Scientificateur: rien à ajouter à votre commentaire. La partition entre d’une part chercheur à vie sans évaluation sérieuse autre que ce que les intéressés veulent bien fournir et, d’autre part, vacataires précaires corvéables à merci est une variante française du néo-féodalisme que plébiscitent les crypto-staliniens, thuriféraires de feu l’organisation scientifique soviétique. Avec un tel cocktail, personne ne peut sincèrement s’étonner que ça ne marche pas très bien. Et, selon moi, nous ne sommes qu’au début du vrai déclin.

Posté par Scientificateur - Posté le 21 novembre 2012 à 14 h 17 min

@F. Garçon Merci pour votre réponse, je vous ai découvert très récemment grâce à vos interventions sur Xerfi Canal. Vous avez un fan !

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