L’apprentissage, triste marronnier français

La ferveur des politiques pour l’apprentissage est inversement proportionnelle à la désaffection des jeunes gens concernés qui, en masse et depuis des années, s’en détournent. Comme si, ruinant les discours survendant la voie professionnelle, l’apprentissage ne parvenait à prendre racine dans le terreau éducatif français. Et pourtant, ca urge ! En témoignent les statistiques du chômage des jeunes (24%), pourcentage non seulement catastrophique mais scandaleux quand, en Allemagne, en Autriche et en Suisse, les jeunes sont au travail et en sont fiers.

Voilà qui explique l’énième débarquement à Berne de politiciens français venus chercher la clé de la réussite suisse. Selon les statistiques du BIT (2ème trimestre 2017), à peine 6,9% des 15/24 ans seraient ici en recherche d’emploi (4,4% pour les adultes,). A son tour, Mme Pénicaud a donc fait un voyage organisé l’ayant mené à Berne puis, parcours obligé, à Lausanne où, en gare de Lausanne, ses hôtes l’ont embarqué vers Mex, où se trouve Bobst, une PME leader mondial de l’emballage et étiquetage.

Probablement convaincue par ce qu’elle aura vu, Mme Pénicaud reviendra à Paris avec un gros ballot de bonnes idées pour le marché du travail français puis… rien ne se passera.

Le ressort de l’échec programmé est connu. Ne nous privons pas d’en rappeler les composants : les élites françaises, celles sorties des « grandes écoles », se soucient comme d’une guigne de l’apprentissage. Quand Emmanuel Macron déclare récemment :  « On va mettre de l’apprentissage dans les filières d’excellence, car l’apprentissage c’est une bonne chose »[1], son inconscient nous dit que l’apprentissage est, selon lui, une voie de relégation. Dans sa définition de « l’excellence », l’apprentissage n’est pas. Au reste, Emmanuel Macron dit vouloir mettre « de l’apprentissage » et non « l’apprentissage » dans les filières que, lui et ses homologues, ont décrété celles de l’excellence. L’apprentissage est et restera donc une voie pour les cancres. En Suisse, pays d’où tous devraient repartir en ayant compris que l’apprentissage est une filière d’excellence, deux parmi les sept conseillers sont d’anciens apprentis ! Mépris identique pour l’apprentissage qu’assène encore Antoine Frérot, X et patron de Veolia, venu faire de la retape pour l’apprentissage et qui, à la question pertinente de la journaliste lui demandant si ses enfants avaient utilisé cette voie, justifie par la négative le choix de ses rejetons : « simplement parce qu’ils étaient… « brillants » et donc que « le problème ne s’est pas posé pour eux » . Ni lapsus, ni acte manqué : ces dominants français sont sincères, ils sont convaincus à la fois faire le bien autour d’eux et de l’excellence de leur formation, ce qui les autorise à s’exprimer sur tout, à s’occuper de tout. Comment, en 2015, Gérard Mestrallet, X et énarque a-t-il pu accepter d’être nommé « ambassadeur de l’apprentissage » par François Rebsamen, ministre du Travail ? Quel crédit apporter à cet ambassadeur ? Quel parent d’élève croira un seul mot sorti de la bouche de cet homme, manifestement égaré sur un terrain dont la particularité du relief lui a manifestement échappé ?

            Pour être valorisé aux yeux des collégiens, de leurs parents et de leurs professeurs, l’apprentissage doit l’être par des gens passés par cette filière et qui en parlent avec fierté. Il s’en trouve des milliers, mais les médias les ignorent. Ils leur préfèrent les membres des castes supérieures, dont ils s’imaginent sans doute faire partie.

            Voilà pourquoi, il était sans doute inutile d’aller une énième fois en Suisse faire perdre du temps à ceux ayant accueilli la délégation française conduite par Madame Pénicaud, au demeurant une personne sympathique. En France, l’apprentissage dual ne prendra pas. Voie de garage pour cancres et sous la férule d’un ministère de l’Education national saturé de personnels ignorant tout de l’entreprise et du marché du travail, notre formule désastreuse d’apprentissage a donc de beaux jours devant elle. Dans les conversations, pour faire bonne figure, on évoquera les bons scores de l’apprentissage en alternance, celui qui concerne les Bac +2, et qui, comme on peut s’en douter, ne résoudra pas le chômage de masse des 15-24 ans.



[1] Interview sur TF1, 15 octobre 2017.

Vos avis et commentaires

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Posté par rachel K - Posté le 30 octobre 2017 à 22 h 49 min

Vous êtes sans doute dans le vrai, mais le pessimisme de votre analyse n’aide en rien les bonnes volontés qui voudraient tant que les choses changent, au profit des gamins à la ramasse. Proposez des solutions plutôt que de faire des critiques, même si celles-ci sont fondées.

Posté par G. Papadopoulos - Posté le 31 octobre 2017 à 10 h 28 min

Le nombre d’apprentis fond et continuera à fondre. La filière n’a pas de prestige et, vous avez raison, tout est conçu pour qu’elle n’en ait pas. Ca ne changera pas. La France est dirigée par une élite sortie de grandes écoles qui ne connaissent rigoureusement rien à l’apprentissage. Les cours de rattrapage en Suisse ou en Allemagne sont trop brefs pour qu’ils puissent en retirer le moindre enseignement; quel dommage pour les jeunes qui se trouvent “largués” dans des formations généralistes qui ne les intéressent pas. Ainsi va la France…

Posté par m214 - Posté le 31 octobre 2017 à 17 h 19 min

Vous nous revenez en forme! Que s’est-il passé? Un si long silence….. La jungle de la sierra madre ?

Posté par P. L. Lepape - Posté le 1 novembre 2017 à 11 h 21 min

Pour que l’apprentissage fonctionne, encore faut-il que la société ressente le besoin d’apprentis. Or tel n’est pas le cas, notamment dans les grands groupes qui se contentent de former des alternants quand ils ont besoin de collaborateurs prêts à l’emploi. Quant aux artisans et aux milliers de PME qui ont un réel besoin de main d’oeuvre à former, tout ce que la société française compte comme décideurs les ignore. Du coup, les apprentis restent dans une zone d’ombre, d’où ils ne sortent qu’à coup de campagnes publicitaires dans les couloirs du métro parisien. Ca ne suffit pas pour donner envie aux jeunes gens de se former concrètement, au contact d’un métier. Voilà pourquoi les PME peinent à former des jeunes qui, de surcroît, rapportent les légendes urbaines, brandissent rapidement le code du Travail à la moindre remarque jugée désobligeante de leur employeur.

Posté par metronome - Posté le 13 novembre 2017 à 18 h 12 min

Mme Pennicaud aura bien du mal à faire valoir l’intérêt de poursuivre non au lycée mais en apprentissage. Le Figaro rangeait la filière sous l’étiquette de désastreuse en terme d’image. Contre ça, que faire ?

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