Longue vie à la démocratie directe !

Publié le : 27 février 2016 - Mot Clés : , , ,

            L’aéroport Notre Dame des Landes ? Référendum ! Le mot est lancé, ça va amuser le public et les journalistes pour un temps.

Mais au fait, qui va payer ? La seule région nantaise, les deux ou trois régions concernées, l’Etat, autrement dit les contribuables niçois et strasbourgeois ? Quelle sera la clé de répartition entre les contributeurs ? Pour ce qui relève de la contribution de l’Etat, la ponction fiscale associée à la construction du nouvel aéroport sera probablement sans grand effet, tant les prélèvements, à force de se superposer, sont devenus indolores. Un de plus ? Va pour un de plus ! Pour les indigènes concernés, leur contribution à la construction de l’aéroport sera cependant lourde à digérer : parions que taxes d’habitation et taxes foncières devraient faire du décollage vertical. C’est pour ça qu’ils devraient réfléchir. Oui, mais sur quoi ?

            Pour mieux comprendre ce légitime désarroi, les Français devraient se convertir au benchmarking. En l’occurrence, et en prévision de ce « référendum », il serait avisé d’aller voir comment procèdent ceux qui pratiquent les référendums à haute dose, environ deux cents fois par an, j’ai nommé les Suisses. Ils votent sur tout, notamment sur les projets publics ayant une incidence sur leurs feuilles d’impôt. Ils votent sur tout, sans s’opposer systématiquement aux dépenses et aux investissements qui leur sont proposés : la Suisse bénéficie d’infrastructures ferroviaires, hospitalières, universitaires à faire pâlir d’envie tous leurs voisins.

            Mais si les Suisses votent avec leur cerveau, c’est aussi parce qu’ils exigent d’être traités non comme des petits pois, mais en adultes responsables. Chaque votation (il y en a 4 par an, à dates fixées sur les 20 prochaines années) comprend en moyenne 3 à 4 « objets » qui concernent l’ensemble des 26 cantons, à quoi s’ajoutent 3 à 4 « objets » ne concernant qu’un seul canton. Sur ces derniers objets, d’intérêt régional voire communal parfois, ne votent donc que les électeurs des cantons concernés. Ainsi le 28 février prochain, dans le canton de Genève, les 250 000 électeurs se prononceront sur 4 objets fédéraux, dont la construction d’un nouveau tunnel routier au Gothard (coût 2,5 milliards d’euros). Les Genevois se prononceront encore sur 8 objets cantonaux, dont un pour la suppression des allégements fiscaux pour les multinationales, un autre portant sur la modification de la Constitution genevoise, un autre sur la protection des locataires, ou encore un autre sur la construction d’un bâtiment de stationnement de troupes à Genève, d’un coût de 18 965 000 euros.

            A leur domicile, un mois avant le scrutin qui s’étend sur trois semaines (vote électronique, vote par voie postale, vote dans l’isoloir (de 10 à 12H, le jour du scrutin), mais pas de vote par procuration), les 250 000 électeurs genevois ont reçu du Service des votations et élections un document imprimé sur papier recyclé de 94 pages qui détaille la position des autorités et celle des comités référendaires sur chacun des objets cantonaux, plus un fascicule de 51 pages et consacré aux 4 objets fédéraux. Les électeurs bénéficient donc d’un mois pour se plonger dans les argumentaires favorables et hostiles de ce sur quoi ils vont voter.

            Dans toute la Suisse, 5,2 millions d’électeurs se prononcent ainsi, tous les trois mois, sur une foule d’objets. Les vaincus peuvent repartir au combat, sous réserve de rassembler, sur un projet élaboré et chiffré, un nombre suffisant de signatures (100 000 pour les votations nationales), de l’ordre de 4% pour les votations dans chacun des 26 cantons. Comme on peut le constater, rien n’est bâclé, rien n’est déclenché sous le coup d’une colère ou d’un fait divers. Il n’y a ni furie ni hystérie numérique : les citoyens sont invités à prendre leur temps, à réfléchir et les autorités doivent fournir les informations nécessaires pour que chacun puisse se faire une raison.

            Retour au bricolage nantais. A ce stade, par exemple, il semble que le contrat qui prévoit la construction de l’aéroport Notre Dame des Landes soit inaccessible. Même brouillard concernant l’incidence fiscale du projet sur les contribuables de la région quand on croit comprendre que Vinci percevra un loyer pendant 30 ou 40 ans. Qu’en est-il encore des dotations sans doute nécessaires pour subventionner les compagnies aériennes qui voudraient bien s’installer à NDDL (nouvelle incidence fiscale). Qu’en est-il du coût d’entretien et de surveillance de l’aéroport actuel qui ne sera pas détruit, et qui continuera de présenter des risques en matière de sécurité en période de risque terroriste (nouvelle incidence fiscale) ?

            Bref, à ce stade du dossier et indépendamment du coup médiatique consistant à sortir du chapeau un lapin nommé Référendum pour amuser l’assistance et les médias, le dossier Notre Dame des Landes continue de puer. Il démontre une fois encore la totale incurie des « élites » politiques françaises, leur déconnection avec le pays un peu rapidement taxé d’ingouvernable. Il n’est pas question ici de déclarer que ce projet d’aéroport est utile ou inutile, mais de souligner combien les décisions politiques procèdent d’une culture du mépris des « masses », évidemment idiotes, ignorantes, archaïques, populistes, que sais-je encore ? Au vrai, les masses se défendent comme elles le peuvent, face à une caste qui s’exonère un peu vite de toute responsabilité quand on dévoile sa pathétique incompétence.

 


Vos avis et commentaires

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Posté par Longuet - Posté le 28 février 2016 à 9 h 39 min

Vous pouvez toujours rêver… Les élus français, déjà si nombreux, ne sont pas prêts à se tirer une balle dans le pied. Multipliez les scrutins où la population peut faire et défaire les lois, dès lors à quoi servent les élus, du niveau communal jusqu’aux assemblées parlementaires ? A rien. Donc, la démocratie directe est impraticable chez nous, car trop nombreux sont ceux qui ont intérêt au maintien d’une démocratie élective dont ont voit, par ailleurs, qu’elle est en faillite.

Posté par Démocrite - Posté le 28 février 2016 à 18 h 00 min

En France, les rares référendums populaires ont tourné à la mascarade: ici, contre des éoliiennes, là contre une police municipale armée autrement qu’avec des bâtons, là contre les caméras de surveillance. Bref, tous les référendums populaires, initiés par des autorités locales, ont tourné à la débâcle. Mais quelle que soit la question, ils auraient suscité une majorité de “non!”. Dès lors, qui va se risquer dans ces batailles perdues d’avance ?

Posté par R. Engel - Posté le 2 mars 2016 à 11 h 29 min

Vive la démocratie directe, en effet. Craignons cependant que les Français fabriquent une machine démentielle pour la mettre en pratique. Faisons confiance à nos élites pour inventer un truc bien français qui accouche d’un monstre, si tant est que la machine fonctionne.

Posté par we.Ld - Posté le 7 mars 2016 à 17 h 24 min

La démocratie directe en France ? Vous rêvez, cher Monsieur Garçon. La démocratie directe fonctionne avec les peuples adultes, capables de voir au-delà de leurs ruminations intestinales. Les Français sont des râleurs, bas du front. Vus de Suisse, ils nous ont longtemps fait rire. Désormais, c’est plutôt de la compassion qu’ils nous inspireraient. Bonne chance ! Et avec vos médias généreusement asservis à la pensée magique crypto gauchiste (France Inter, France Culture, Arte), le pire est devant vous.

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