Longue vie à la rente universitaire !

Daniel Cohen conclut son dernier ouvrage[1] sur ces mots : « Dans l’équilibre entre compétition et coopération, il faut redonner vie à la seconde, en réenchantant le travail, (…) ». L’auteur déplore l’esprit de compétition qui, à l’en croire, dévore les fondements de notre société de bien être. Avec l’esprit de compétition, s’en est fini des notions de solidarité, des élans de générosité dont on a fait preuve notre société jusqu’à ce que la compétition entre les êtres et les nations démantèle un système de valeurs où chacun respectait l’autre et non visait à l’étrangler.

Ce réquisitoire contre la compétition, jugée nuisible, est largement partagé dans le milieu universitaire français. Ainsi surgit-il ainsi dans les 121 propositions pour les Assises nationales de l’enseignement supérieur et de la recherche, tenues les 26 et 27 novembre 2012 au Collège de France. La proposition 58 réclame de «  Ré-équilibrer les soutiens de base de la recherche en diminuant la part des financements de la recherche sur appels à projets. » Les « appels à projets », ce sont notamment les financements ANR ou, pire, les fameux European Research Council (ERC). De fait, dans la course aux financements ERC, les chercheurs français font en effet pâles figures face à leurs collègues Hollandais, Britanniques, Suisses. Eux font régulièrement main basse sur le tapis. La ministre de l’Enseignement supérieur s’est en du reste publiquement émue. Constatant que les chercheurs français collectent moins que l’abondement de la France à ces fonds de recherche, Geneviève Fioraso a pesté, empruntant des arguments directement inspiré du mercantilisme thatchérien.

 Dans ce contexte dépressif et au lieu de muscler les équipes, de tenter de faire mieux lors des prochaines attributions de fonds de tiers attribués sur une base compétitive, se lit le désir français de revenir à la tradition, aux « soutiens de base » calculé mécaniquement et attribuée de manière pérenne en fonction de critères gravés dans le marbre. Au fait de quel marbre s’agit-il ? C’est celui que l’on ne trouve qu’en France, démonétisé sitôt qu’on s’aventure hors de l’hexagone. Il se nomme le concours. Les fonds de recherche doivent revenir non à ceux qui ont un projet de recherche mais à ceux qui ont la plus belle carte de visite française. En France, ça signifie avoir réussi un concours.  Répétons-le : le concours est une imbécilité purement française, dont les dégâts se mesurent à ce que commettent au long de leur vie professionnelle ceux qui se sont astreints à cette compétition parmi les plus crétines qui puisse être imaginées. Des milliers de chiens savants sortent chaque année de cette colonne de distillation qui donne accès non à la science, mais à la rente à vie. Rente professionnelle, rente statutaire, rente de mépris et d’arrogance sur fonds de classement scolaire. Quitte à combattre l’esprit de compétition, on aurait aimé entendre Daniel Cohen dénoncer par exemple l’agrégation (il en a passé deux !).

Car pour revenir aux appels à projets européens, ils sont plus ouverts, plus transparents dans leurs attributions que les jurys des concours franchouillards. Parce qu’animés par des scientifiques formés sur divers continents et venus d’horizons intellectuels éclatés, ses membres ne sont pas composés d’hurluberlus échappés de chapelles idéologiques se menant des guerres picrocholines. Indifférents aux badges scolaires qu’arborent fièrement en France les tenants de l’égalitarisme citoyen, indifférents aux hiérarchies abscondes entre « grandes écoles » auxquelles nous sommes si vigilants, ces jurys cosmopolites se prononcent d’abord sur la qualité des projets proposés avec pour objectif de soutenir les recherches prometteuses. En outre, les équipes lauréates, comme celles qui ont été écartées, ne capitalisent rien. Il faudra chaque fois repartir de zéro lors des futurs appels d’offres.

Voilà à quoi tient le dépit des rentiers français qui, pour expliquer leurs déboires dans la course aux financements aléatoires, ressortent une énième fois la théorie du complot au lieu de s’en prendre à la médiocrité de leurs dossiers. Voilà pourquoi ce type de procédure fondé sur la concurrence entre les équipes fait tant peur aux rentiers scientifiques français.

Vive les appels à projets sur une base compétitive ! Vive le réenchantement par le travail ! A bas la rente !



[1] Homo Economicus, Prophète (égaré) des temps nouveaux, Albin Michel, 2012, page 206.

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