Il y a Polytechnique et Polytechnique. Ne pas confondre !!!

Publié le : 8 juillet 2012 -

Qui en France connaît Patrick Aebischer ? Au départ, il est médecin, spécialiste en neurosciences, a longtemps travaillé aux Etats-Unis et, depuis 2000, préside l’Ecole polytechnique. Pas la nôtre, pas celle de Palaiseau, que gouverne un militaire, en l’occurrence le général Xavier Michel qui vient de recevoir un courrier salé de la Cour des comptes : lui est reproché de fermer les yeux sur des rémunérations en zig zag pour ses professeurs, de n’avoir pas ouvert l’établissement à la diversité sociale qui, pire, tendrait à se refermer toujours davantage sur le noyau dur des initiés (fils de profs) et CSP++ (fils de cadres supérieurs et professions libérales). Le général Michel est encore épinglé pour avoir abdiqué sur la question du remboursement des frais scolarité de ces premiers de la classe qui, passé le défilé du 14 juillet, se ruent vers la City londonienne après que la collectivité les ait payés pendant leurs études, par ailleurs gratuites. Les autres ? Embauchés sans aucune expérience professionnelle, sinon un stage ouvrier récréatif, ils rejoignent généralement l’administration centrale ou une grande entreprise, troquant le bicorne contre un véhicule de fonction. Quand on songe qu’à la découverte du classement de Shanghai se fondant sur la seule recherche scientifique, des X ont eu le culot de s’indigner en voyant leur manufacture de cadres figurer dans la voiture-balai du palmarès ! Encore heureux que, richement dotée en laboratoires, l’X accueille des chercheurs non X venus profiter des installations du plateau de Palaiseau. C’est eux qui font tourner la dynamo.

 

            Bref, aujourd’hui, hors de l’hexagone, quand on parle d’école Polytechnique et comme l’observait Pierre Veltz voilà déjà cinq ans[1], il est question non de l’usine à cols blancs de Palaiseau mais des deux Ferrari suisses: l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (21 prix Nobel au compteur) et, plus récemment, de l’Ecole polytechnique de Lausanne, que préside Patrick Aebischer. L’estocade est portée quand un nombre significatif de diplômés de l’X (Paris) filent désormais faire leur doctorat à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Phosphorant dans des conditions matérielles proches du MIT (la bibliothèque compte 14 000 abonnements) et en contrepartie d’un assistanat des professeurs titulaires, les thésards reçoivent une bourse d’environ 4000 euros/mois pendant la rédaction de leur doctorat (3 ans). Rendons donc hommage aux Suisses : ce sont eux qui remettent nos brillants ingénieurs sur les rails de la recherche, quand notre système élitaire républicain les propulse jusqu’à présent vers la banque, les méga groupes, le fric et le pouvoir.

            Observons encore que les deux écoles polytechniques suisses sont dirigées par des chercheurs de haut vol, passés par de longs post-doc aux Etats-Unis, qu’elles sont autonomes, publiques, non sélectives, quasi-gratuites et extrêmement exigeantes en termes de rendements scolaires. J’ai souvenir que voilà une quinzaine d’années, une circulaire du département SHS de Palaiseau nous enjoignait de mettre à nos étudiants un point par présence à chacun des 13 cours que nous donnions par semestre. A imaginer que l’un de nos étudiants remette une feuille blanche lors du contrôle terminal (ce qu’aucun n’a jamais fait avec moi), le bicorné avait la garantie  minimale d’un 13/20 ! En Suisse, les professeurs des deux écoles polytechniques sont encore payés royalement (225 000 euros/an, vous avez bien lu[2]) et, cela va sans dire, soumis à une évaluation régulière. A un tel niveau de rémunération, la sieste au bureau est mal venue et les profs sont priés d’aller décrocher des fonds de recherche attribués sur une base compétitive. Evidemment, les deux écoles polytechniques suisses, tout comme les dix universités de la Confédération helvétique, ignorent l’aberration française qu’est le maître de conférences à vie. Au bout de six ou sept ans, le chercheur est titularisé en tant que professeur ordinaire, ou bien est prié de faire ses bagages. Cette pratique gouverne pratiquement tous les établissements supérieurs qui comptent sur la planète. Telle est la bonne formule qui permet la régénération régulière du tissu scientifique.

            Donc Patrick Aebischer préside un établissement de recherches où se pressent des cerveaux du monde entier : 60% des professeurs sont étrangers. Même cosmopolitisme chez les étudiants aimantés d’une centaine de pays. Dernièrement Aebischer a déclaré : « Nous devons également faire envie aux jeunes afin qu’ils s’engagent dans les carrières scientifiques »[3]. Qu’en dit le général Michel et, plus généralement, les présidents de nos « grandes écoles » scientifiques, notamment celles de « premier rang » que célèbre le proviseur d’Henri IV ?[4] La plupart ne continueraient-ils pas plutôt d’encourager leurs étudiants à conquérir les pôles positions dans les très grandes entreprises ? Sinon, pourquoi seulement 4% des ingénieurs font-ils une thèse en France, et combien dans les « écoles de premier rang » ? Aebischer de dire encore : « Nous devons valoriser nos découvertes si nous voulons que nos diplômés trouvent des emplois. Pour ce faire, nous devons interagir avec le secteur financier tout en préservant la liberté académique qui nous est chère ». Qu’en disent là certains de nos ayatollahs pour qui, sauf à se prostituer ou à perdre son étincelant « esprit critique », l’université doit s’interdire tout contact avec le marché, avec l’entreprise ? L’emploi, du point de vue de l’universitaire, doit-il se résumer aux rentes que procure la réussite aux concours idiots de la fonction publique?

 



[1] Pierre Veltz, Le Nouvel observateur, 13-19 septembre 2007, (observation fondée sur le classement de Shanghai 2006).

[2] Neue Zürcher Zeitung am Sonntag, 20 mai 2012.

[3] Bilan, 4 juillet 2012, page 26.

[4] Le Nouvel Economiste, 24-30 mai 2012, page 4/5

Vos avis et commentaires

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Posté par Y. Croir - Posté le 20 septembre 2012 à 12 h 28 min

Le général Michel a pris sa retraite. Il faudra suivre la politique de son successeur qui, je crois, n’est pas militaire.

Posté par Tamerlan - Posté le 23 mai 2013 à 18 h 06 min

Article saignant, comme je les aime.

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